Gwendal O.

Récréalivres est la seule librairie spécialisée jeunesse de Sarthe. Elle est aussi Librairie-Relais de L'école des loisirs et est dotée d'un Square depuis 2012.

Cristina Sitja RUBIO

Éditions les Fourmis rouges

Conseillé par (Libraire)
30 mars 2016

Les deux albums Objets perdus et Amis retrouvés sont inséparables. Ils racontent le début d’une amitié et la découverte réciproque de deux modes de vie autour du récit de deux voyages. Dans le premier Coutchuplum et Oisoletto réalisent un périple dans la jungle où ils font la connaissance d’Azur et Lapinito. Ces derniers feront le voyage inverse pour venir visiter la grande ville. Le dessin faussement maladroit de Cristina Sitja Rubio, auteure du magnifique Etranges créatures, est transcendé par un usage subtil de la couleur dans deux petits formats proches du roman. Cette relecture fantaisiste et contemporaine de la fable de La Fontaine, Rat des ville et rat des champs est une belle leçon d’ouverture à l’autre et interroge l’air de rien d’un regard décalé et plein d’acuité le concept même de civilisation.

Courtes et longues

Conseillé par (Libraire)
30 mars 2016

Etonnant par bien des aspects, Extra va gant est une démonstration brillante de la sensibilité littéraire de Betty Bone qu’on avait déjà vue à l’oeuvre dans son adaptation de l’incipit de A la Recherche du Temps Perdu. Construit autour d’un dialogue absurde et théâtral entre les différents organes d’un visage, l’album est un plaisir de lecture à voix haute. L’illustration, de l’usage des couleurs jusqu’aux polices de caractère, s’autorise toutes les audaces avec un sens du grotesque qui ne s’avère être au final qu’une question de point de vue. Car l’étrangeté de l’album réside dans la distance qu’attribue l’auteure au lecteur par rapport aux choses. Faire une histoire du récit d’un geste trivial (celui d’enlever un gant) un drame, une crise panique est ici tout un art : la déconstruction virtuose d’un corps, un jeu hilarant de reconnaissance.

Conseillé par (Libraire)
29 mars 2016

La recherche de l'absolu

Nous étions sans nouvelles de Claudine Desmarteau depuis 2012, année de la parution de Troubles aux éditions Albin Michel et Hit parade des chansons qu’on déteste aux éditions Sarbacane. Jan s’inscrit à mi chemin entre la série burlesque du Petit Gus et une veine romanesque plus sombre. Roman d’apprentissage emprunt d’âpreté et de liberté, Jan suit les tribulations d’une jeune adolescente débrouillarde et décrit la lente implosion d’une famille dysfonctionnelle. La personnalité et le parcours de Jan sont, il est vrai, symptomatiques d’une certaine production éditoriale contemporaine au réalisme social ultra marqué : une invasion d’assistantes sociales à côté de la plaque et d’éducateurs défaillants. Le roman transcende l’air du temps avec gouaille en doublant le récit à la première personne d’un hommage au film de Truffaut, Les 400 coups. Les pas de Jan s’inscrivent délibérément dans ceux d’Antoine Doinel dans une identification touchante qui réserve sa dernière surprise dans l’ultime chapitre en forme de regard caméra. Claudine Desmarteau manie subtilement l’entre-deux d’un humour bon enfant mêlé d’acidité. Sa poésie, insoumise et cabossée, nous touche par sa sincérité. « je sifflerai comme un oiseau / je conte sur toi mon frère courageu /j’ai hate de te retrouvé pour plus vivre sans toi ».

Gautier-Languereau

Conseillé par (Libraire)
28 février 2016

La voyageuse contemplant la mer de nuages

Sur la couverture de cet album au très grand format, une immense créature au pelage blanc assure la possible chute d’une alpiniste en posture précaire. Un yéti comme le titre l’indique sous son vernis sélectif rouge. Mais un « yéti » sans majuscule et sans déterminant : ni le nom commun, ni le nom (propre), plutôt l’archétype, le symbole (apparaîtra plus tard un chien qui lui aussi sera nommé simplement « chien »).

« yéti » est le récit à la première personne d’une femme obsédée par la véracité de l’existence du yéti. Le lecteur la suivra dans la réalisation d’un voyage jusqu’au sommet d’une montagne où elle sera supposée enfin le rencontrer.

« yéti » n’est pas un album illustré proprement dit car à part sur la première illustration en forme de portrait, Rebecca Dautremer choisit d’interpréter l’obsession de l’héroïne. Le yéti ou son ombre sont en effet présents dans toutes les images bien qu’aucun personnage ne s’en aperçoive, validant la vision de la créature fantastique comme issue d’un monde parallèle ou de la psyché de la narratrice.

Rebecca Dautremer compose ses images à la façon d’un chef opérateur inspiré, privilégiant les plans d’ensemble, soignant les perspectives avec un sens de l’équilibre et une minutie qui pourraient sembler purement virtuoses si l’usage des couleurs ne venait animer le tout : couleurs chaudes, contrastes audacieux, rouges magnifiques, verts profonds. Palette d’abord en adéquation parfaite avec l’époque et le cadre géographiques choisis et pourtant jamais définis dans le texte de Taï-Marc Le Thanh (l’Amérique centrale des années 50) puis glissant progressivement vers le dénuement (une vision très allemande de la Cordillère des Andes).

L’illustratrice suggère par ailleurs une autre piste d’interprétation autour de l’image représentant l’héroïne, allongée dans son lit, concentrée sur sa lecture. Ce voyage serait-il fantasmé au même titre que le yéti ?

L’album semble vouloir résoudre cette incertitude dans ses dernières pages qui anticipent ou présagent le premier face à face. Le regard du personnage principal (qui apparaît ici comme le prolongement du célèbre tableau de Caspard David Friedrich) dans la dernière double page est peut-être effectivement celui de la rencontre souhaitée. Mais ce « regard caméra » semble comme perdu dans le vague, emprunt de mélancolie et d’indétermination. Qui ou que regarde-t-elle ? Le yéti ? Le paysage ? Le lecteur ?

« yéti » est un voyage initiatique à la recherche d’une vérité cachée, peut-être un prétexte pour enfin se rencontrer soi-même, entièrement. C’est aussi, on l’imagine, l’autoportrait d’une artiste romantique (au sens classique) qui forte d’une maîtrise toujours impressionnante, fait néanmoins l’expérience du doute et de la solitude dans le cadre grandiose d’une nature sauvage, presque abstraite.

Conseillé par (Libraire)
2 février 2016

Ce matin est le quatrième album de Junko Nakamura publié aux éditions MeMo. On retrouve à nouveau la simplicité et le sens du détail qui nous avaient tant séduits dans Quand il pleut. L’album s’ouvre sur le réveil du chien Yupi. Son maître, un ours débonnaire, sera à la fois le héros et le narrateur de l’histoire. Celle-ci se concentrera sur tous les instants précieux qui précédent la balade matinale. Le texte, jamais redondant avec les illustrations, se met au diapason d’un rythme relâché, s’autorise les pauses contemplatives et les allers-retours. Le contre-temps charmant de «  Je ne t’avais pas encore dit bonjour mon chien » synthétise à ce titre à lui seul la bienveillance et l’acuité du regard posé sur le duo par l’auteur. On pense au merveilleux Kuma Kuma (éditions Autrement) dont on retrouve la façon légèrement décalée de percevoir le quotidien. Le choix des couleurs tout à fait improbable et pourtant parfaitement juste, fait résonner toutes les étapes du réveil de l’ours avec vigueur. Les superpositions et les légers décalages des applications du jaune, du bleu et du marron font apparaître un vert printanier mais aussi de légères vibrations aux contours des formes : Ce matin est plein de vie. Sur la dernière double-page un soleil resplendissant sourit aux deux héros et évidemment on fait comme lui.