Gwendal O.

Récréalivres est la seule librairie spécialisée jeunesse de Sarthe. Elle est aussi Librairie-Relais de L'école des loisirs et est dotée d'un Square depuis 2012.

Conseillé par (Libraire)
1 août 2016

Cameron vit avec sa mère depuis qu'elle s'est séparée de son mari qui fait l'objet d'une injonction d'éloignement. Leur dernier point de chute est une vieille ferme abandonnée depuis quelques années où ils pourront peut-être reconstruire leurs vies, elle avec un nouveau travail dans une agence immobilière, lui dans un nouveau collège. Mais l'adolescent ressent une présence dans les lieux et commence à fouiller dans le passé des anciens propriétaires. L'intrigue navigue entre histoire de fantôme et enquête policière, jouant sans pitié avec la crédulité d'un lecteur indécis, s'interrogeant sur un narrateur dont il apprend très vite à se défier. L'ambiance angoissante, proche de celle de certains romans de Stephen King, réussit à maintenir une ligne fantastique nerveuse et subtile. La morsure des chiens d'Allan Stratton est implacable : une fois le lecteur attrapé, il ne devrait pouvoir être libéré avant la toute fin de ce très bon thriller.

Conseillé par (Libraire)
2 juillet 2016

La parution du roman "Les enfants de Babel" en 2013 à l'école des loisirs déjà avait permis de découvrir l'espagnol Eliacer Cansino aux jeunes lecteurs français : une jolie découverte (d'une langue trop peu traduite dans le domaine de la littérature jeunesse) portée par un univers généreux et engagé. Si la lecture du "Mystère Velasquez" aux éditions Bayard avait déçu l'année dernière, on retrouve à nouveau dans "OK, senor Foster" ce qui nous avait séduit chez l'auteur : la présence de la mer, la force de la transmission et la place discrète mais décisive de la poésie. Si l'on pouvait éventuellement reprocher aux "Enfants de Babel" son trop plein d'intrigues et de personnages, l'histoire du jeune Perico est parfois survolée. On aurait aimé quelquefois en apprendre plus sur l'histoire des personnages secondaires : Foster, l'expatrié britannique et le mystérieux Ismaël en particulier. L'intrigue centrée autour d'un trafic de faux billets n'est certes pas l'élément le plus palpitant du roman et sert plus à mettre en scène une époque particulière de l'histoire de l'Espagne. "OK, senor Foster" n'est pas à proprement un policier mais plutôt une chronique du quotidien sous le franquisme, l'histoire d'un adolescent qui s'ouvre à la complexité du monde et sa découverte d'une belle vocation.

Truus MATTI

La Joie de Lire

Conseillé par (Libraire)
27 juin 2016

Si la couverture (très réussie) comme la 4ème la dévoilent, l'identité du Mister Orange qui donne son titre au roman n'est jamais révélée par la néerlandaise Truus Matti. C'est d'une certaine manière une des qualités de la rencontre qui a lieu ici. Jamais didactique, toujours un peu décalée et en contre-temps parfois amers, le jeune Linus et le mystérieux peintre vont apprendre à se connaître en pointillés au fil des livraisons de caisses d'agrumes. L'auteur dresse en arrière plan le portrait d'une famille américaine modeste des années 40 touchée de plein fouet par un conflit lointain. Le roman réussit à traduire comment cet adolescent va grandir en confrontant son expérience innocente de l'art et de la guerre. Si Mister Orange peine parfois à capter l'essence du boogie-woogie (dont il est question à propos d'une fameuse toile inachevée), la rencontre ne manque pas de charme.

Conseillé par (Libraire)
7 mai 2016

Les images dans la tête

Initialement publié dans l'excellente et trop discrète collection "Photoroman" chez Thierry Magnier en 2011, "En plein dans la nuit" reparaît aujourd'hui chez le même éditeur, mais sans les photographies de Bertrand Desprez. Dire que la superbe couverture imaginée par Tom Haugomat est une consolation suffisante, ce serait aller peut-être un peu trop vite en besogne. Pourtant il y a bien un intérêt à lire ce très beau texte sans avoir en regard les photographies qui ont présidé à son écriture. C'est simplement une expérience différente à laquelle le lecteur est conviée. Il verra invoquées pour l'occasion d'autres images issues de son expérience personnelle. Car "En plein dans la nuit" est un roman éminemment visuel, sinon cinématographique. La trame du roman, réaliste, d'une veine sombre et sociale, procède par glissements progressifs subtils vers une dimension quasi fantastique. Le roman trouve son bel équilibre entre références littéraires classiques (magnifique évocation d'une lecture de "La légende de Saint Julien l'Hospitalier") et plongée brutale dans le vide d'une génération perdue (Bret Easton Ellis n'est pas loin), entre frémissements baroques et élégante sécheresse. Une redécouverte bienvenue.

Conseillé par (Libraire)
30 avril 2016

Maison Diptych

A l’origine de « Maisons-Maison », il y a une résidence à Aspet durant laquelle Elisa Géhin a rencontré une douzaine de classes. Dans le cadre de ses ateliers axés autour d’une réflexion sur la représentation de l’habitat, elle a utilisé la technique du tampon. Sa forme modulaire facile à créer, son principe d’application et d’agencement en font un outil de création d’une grande simplicité. La première lecture du dernier album d’Elsa Géhin fait immédiatement ressentir dans sa fraîcheur et son caractère décomplexé la somme d’expériences dont il est issu. Le ton est donné dès les premières pages de garde qui exploitent la répétition du motif d’un parapluie : le même parapluie mais avec des variantes de couleurs acidulées et aux motifs élémentaires. L’histoire s’envisage d’abord dans un premier degré ludique et rythmé. Monsieur Maison invente la maison après avoir perdu son parapluie (oui c’est pour ça donc). Son invention est copiée et son créateur décide donc de se l’approprier en y apposant son nom. Mais la copie se répand malgré cela en dehors de tout contrôle. Monsieur Maison comprend alors l’intérêt général de son invention et renonce à sa propriété. L’épilogue le présente de retour sous son parapluie, car incapable de retrouver sa demeure. Elisa Géhin avait déjà tenté à sa manière un brin loufoque de se frotter aux questions existentielles dans le formidable « Les vers de terre mangent des cacahuètes » (déjà aux éditions Thierry Magnier) qui était lui aussi une sorte de conte des origines. Dans « Maisons-Maison » elle imagine d’abord un monde sans maisons, l’aventure pouvant se lire comme l’apparition du métier d’architecte. Evidemment, sous son apparente absurdité, « Maisons-Maison » peut aussi se lire comme une métaphore de la position du créateur ou de l’artiste, dans une société qui le contraint à perdre la propriété de son oeuvre, à se mettre en marge. A ce titre l’épilogue résonne cruellement, du moins avec amertume, en nous présentant Monsieur Maison sous son parapluie, dépossédé après avoir fait un acte de générosité désintéressé. La grande intelligence de l’auteure illustratrice est de mettre habilement en abîme cette métaphore : le procédé du tampon utilisé dans l’album formalise la révolution du monde artistique moderne en figurant l’apparition de l’ère de la reproduction, de la copie. Une telle profondeur derrière le sourire schématique mais bien franc du sympathique Monsieur Maison est le signe indéniable d’un grand talent.