France M.

Conseillé par (Libraire)
18 novembre 2021

Avec un premier tome couronné en 2018 par le prix Julia-Verlanger et un grand prix de l’Imaginaire remporté pour les deux premiers tomes en 2019, le cycle de Syffe a clairement marqué les esprits des amateurs francophones de fantasy. Pour preuve, la jolie file d’attente à la librairie l’Atalante pour la sortie du troisième tome sorti cette année. Sept sont prévus au total, et si ce chiffre, ainsi que l’épaisseur impressionnante des romans, peut rebuter un peu, l’auteur nous rassure déjà sur un point : hors de question de R.R. Martinisé. Cette crainte chassée, reste à savoir ce que vaut déjà le début de ce cycle.

Syffe est un orphelin d’un peu moins de huit ans qui grandit en compagnie d’autres orphelins à la ferme de la veuve Tarron, plus ou moins forcée de prendre en charge ces enfants, même si elle n’y met pas forcément de mauvaise volonté. « Je crois que nous étions heureux », nous dit Syffe, et les jours s’écoulent tranquillement pour ces jeunes enfants déjà malmenés par la vie. Mais très vite, le monde rattrape Syffe : outre les évènements politiques qui se mettent en branle autour d’eux avec la mort du roi, c’est la découverte d’un cadavre, puis son arrestation pour avoir volé un beignet, qui vont changer sa vie. Il deviendra tour à tour espion, apprenti d’un chirurgien, puis enfant soldat, et l’on ne partira pas dans les détails afin de ne pas trop spoiler.

Le fait d’avoir un enfant pour personnage principal aide à guider le lecteur dans la découverte de l’univers : c’est par ses yeux que nous allons entrer peu à peu dans des intrigues, comprendre ce monde qui se complexifie au fil des pages. Outre les conflits armés entre seigneurs, on découvre aussi des magies inquiétantes, des créatures aperçues au fond des bois, et Syffe, porté par des rêves terriblement concrets, et parfois prémonitoires, aura sans doute son rôle à jouer dans ce domaine. En outre, la discrimination et le racisme, entre classes sociales ou entre peuples, sont abordés dès le début du livre avec justesse.

Loin d’être un récit de fantasy épique où bataillent des armées entières, ce premier tome reste intimiste, et Syffe et son entourage en sont le centre. On suit donc son évolution et sa sortie de l’enfance, ses relations avec ses différents mentors, et les évènements, souvent cruels, qui le transforment. L’enfant de poussière est clairement le début d’une quête initiatique très personnelle, aux personnages très attachants, et le style très fluide de l’auteur en fait un livre qui se dévore sans problème malgré ses 618 pages. Si la qualité se maintient au fil des tomes, ce cycle fera sans doute date dans la fantasy francophone.

Gallimard Jeunesse

Conseillé par (Libraire)
10 novembre 2021

Nous sommes à l’aube d’une guerre et le père de Peter, un jeune garçon, décide de s’enrôler et de confier Peter à son grand-père. Ce faisant, il l’oblige à abandonner le renard, Pax, avec lequel il grandit depuis quelques années.
Le roman s’ouvre sur cette scène déchirante, puis alterne les points de vue : d’un côté Pax, livré à lui-même dans une nature qu’il n’a pas appris à connaître, dépourvu des instincts qui lui permettraient de survivre. Sa route va croiser celle d’autres animaux à fourrure. D’un autre côté, Peter, mort d’inquiétude pour son renard, va finalement fuguer pour partir à sa recherche. Une blessure le mettra sur la route de Vola, ancienne combattante de la guerre précédente, qui vit recluse dans les bois et dont on découvrira l’histoire au fur et à mesure.

La guerre, l’abandon et l’amitié sont donc les thèmes, pas forcément faciles, abordés par ce roman. Certaines scènes sont un peu rudes à encaisser, mais les moments d’émotions prennent finalement le pas sur le reste. Pax et le petit soldat est, après tout, un roman d’apprentissage, et chaque personnage sortira un peu plus grandi des expériences qu’il a vécues : Peter passe de l’enfance à l’adolescence, Pax doit apprendre sa véritable nature de renard, et Vola, cette ancienne combattante, doit enfin dépasser le traumatisme qu’elle a vécu pendant la guerre. La fin est assez inattendue, mais somme toute assez logique, et toujours très belle.

Pax et le petit soldat, qui a d’ailleurs remporté le prix Sorcières en 2018, est un très beau roman d’aventure qu’apprécieront sans doute beaucoup les jeunes amoureux des animaux.

De Platon à Russell : Monsieur Phi réveille les classiques

Seuil

Conseillé par (Libraire)
20 octobre 2021

Que vous vouliez découvrir la philosophie, ou que vous vouliez cultiver votre intérêt pour ce sujet, Curiosité philosophique, de Platon à Russel, s’adresse à vous.

Si vous ne connaissez pas Thibaut Giraud, son auteur, peut-être connaissez-vous la chaîne Youtube Monsieur Phi. C’est en 2016, la même année où il soutient sa thèse de doctorat, que Thibaut Giraud lance sa chaîne de vulgarisation, à laquelle il se consacrera pleinement dès 2017 tout en mettant un terme à sa carrière d’enseignant de lycée.

Chaque chapitre tourne autour d’un auteur classique de la philosophie occidentale. Mais loin d’une grande présentation scolaire et ennuyante, Thibaut Giraud aborde à notre intention un aspect singulier, intriguant ou inattendu dans la pensée de chacun de ces auteurs.

Avec sa vingtaine de chapitres pour couvrir les 25 siècles qui séparent Platon de Russel, quelques auteurs et quelques périodes ont dû être sacrifiés, à commencer par le Moyen Âge que Thibaut Giraud confesse bien volontiers très mal connaître. Un philosophe qui préfère ne pas s’étendre sur ce qu’il ne connaît pas, voilà qui nous change de certains philosophes de plateaux télé !

Et même s’il ne faut donc pas espérer trouver dans cet ouvrage l’alpha et l’oméga de la philosophie occidentale, il est tout de même à noter qu’il s’ouvre avec la critique radicale de l’écriture de Platon (et donc du livre lui-même) et se termine avec la question de la valeur de la philosophie chez Russel. Voilà de quoi, j’espère, vous mettre en appétit.

À noter enfin que chaque chapitre se conclut par des conseils de lecture commentés, de quoi allonger votre liste de livres à lire ;)

Conseillé par (Libraire)
13 octobre 2021

Métal hurlant fut un magazine publié par les Humanoïdes associés entre 1975 et 1987, puis entre 2002 et 2004, et son nom a des allures de référence culte pour tous ceux qui s’intéressent un tant soit peu à la science-fiction. Les plus jeunes se souviendront peut-être de la série Métal hurlant chronicles, diffusée sur France 4 en 2012 et constituée de 12 épisodes, chacun adaptant une histoire parue dans le magazine. Cette nouvelle fournée, en cette année 2021, nous parvient grâce à un financement participatif qui a crevé les plafonds.

Ce premier numéro est consacré au near future, autrement dit à l’anticipation proche. Le magazine est découpé en deux parties : une série d’articles de spécialistes d’une soixantaine de pages, et un bon gros 200 pages de BD. La répartition aurait pu éventuellement se faire autrement : lire un paquet d’articles portant sur des sujets aussi divers que l’architecture dans l’anticipation, les NFT et une interview de William Gibson, tout ça d’affilée, ce peut être un peu plombant, et alterner BD et articles aurait peut-être pu alléger la lecture. Les articles restent ceci dit intéressants et bien travaillés, et l’on en sortira avec plus d’une référence mise de côté pour de futures lectures, ou visionnages.

La partie BD contient pas moins de 22 histoires, écrites et dessinées aussi bien par des auteurs confirmés (on note la présence de Mathieu Bablet, auteur de Carbone & Silicium) que par des jeunes auteurs. Les nouvelles sont courtes, une dizaine de pages tout au plus, et sont quasiment toujours des histoires à chute.

Évidemment, certaines préférences se font : pour E-ballade, de Merwan et Sandrine Bonini, une randonnée en forêt de Rambouillet à travers le prisme du smartphone (et ça tourne mal) ; pour Ces mains qui nourrissent de Samia Marshy et Lee Lai, qui imagine la privatisation des semences jusqu’au bout ; pour La vie quotidienne de Matt Fraction et Afif Khaled, qui aborde le sujet des violences faites aux femmes mêlé à celui de la domotique ; et pour deux histoires très émouvantes : Replica.I, de Mark Waid et Julien Perron, où une jeune femme incapable de faire son deuil crée une réplique virtuelle et interactive à l’image de sa défunte mère ; et Delete de Sergio Salma et Carole Maurel, qui aborde la possibilité de manipuler sa mémoire pour mieux supporter le deuil d’un enfant. Une grande diversité donc, qui est très appréciable.

On peut néanmoins parler de qualité inégale - je suis sortie de certaines histoires en me demandant tout simplement « Mais qu’est-ce que je viens de lire ? » tandis que d’autres étaient habilement menées pour un nombre de pages aussi court. Mais c’est peut-être là uniquement une question de goût. Un tel foisonnement d’auteurs, de thèmes et de styles différents ne peut tout simplement pas convaincre une personne sur sa totalité, et chacun aura forcément sa préférence, qu’elle soit visuelle ou narrative. Les bonnes surprises restent toutefois majoritaires, et l’ouvrage vaut par conséquent l’investissement.

Trilogie trademark

3

Le Bélial

Conseillé par (Libraire)
6 octobre 2021

Mort™, conclusion de la trilogie Trademark commencée avec Bonheur™ en 2018 et Vie™ en 2019, est enfin arrivé en rayon la semaine dernière. S’il était prévu, et l’éditeur le rappelle d’ailleurs en préface, que les trois tomes puissent se lire indépendamment, on se permettra d’émettre un petit doute tout à fait personnel à ce sujet : le tome peut effectivement se lire seul sans problème, mais ce serait passer à côté d’un certain nombre de références aux précédents. On peut arguer que lire Bonheur™ ou Vie™ après Mort™ peut être une façon d’approfondir l’univers de l’auteur. Cela, seul le lecteur en sera juge.

Si on adopte l’ordre des sorties comme ordre de lecture, Mort™ joue parfaitement son rôle d’apothéose de ce qui a été développé par l’auteur. Le récit évolue du point de vue de trois personnages, qui vivent dans trois zones distinctes, séparées par des murs vertigineux, d’une même capitale.
D’un côté Xiaomi, qui vit à Mande-Ville, l’univers aux allures cyberpunk déjà décrit dans Bonheur™. Là-bas, consommer est non seulement un devoir de citoyen mais aussi une obligation légale, et gare à ceux qui ne dépensent pas assez leurs crédits. Xiaomi est journaliste, et sa ligne éditoriale consiste davantage à générer du clic qu’à exposer une vérité ou une autre (toute ressemblance serait fortuite, etc.).
A Algoripolis, lieu déjà rencontré dans Vie™, réside le citoyen DN493xw, code name Donald Trompe. Là, la vie est purement virtuelle : chaque citoyen vit seul dans son cube de 8m², avale sa pâte nutritive avant de se connecter à son hub et de se mettre à gérer ses temps de vie : d’amour, de travail, de loisirs, d’amitié. Tout ce beau monde est géré par des algorithmes.
La nouveauté de ce tome, c’est la ville de Babel, où vit Rasmiyah. Babel, c’est la zone où habitent ceux qui fondent leur vie non pas sur des algo ou sur la consommation mais sur la religion. On y trouve des quartiers destinés aussi bien aux musulmans qu’aux pastafaristes. Rasmiyah est chaos magicienne, ce qui lui permet de changer régulièrement de religion, ce qui importe pour elle étant plus son acte de foi qu’une foi envers une divinité précise.
Ces trois personnages, vivant pourtant dans des zones réputées imperméables les unes aux autres, vont voir leur vie bouleversée par l’apparition de ce que l’on appelle la M-Théorie. Ce sera une remise en question de leur mode de vie et de leurs croyances.

Après la consommation et le virtuel, Jean Baret s’attaque donc au thème de la religion – étant le nouveau sujet du livre, les chapitres dédiés à Rasmiyah sont souvent plus longs. L’exercice était risqué, et il est de mon humble point de vue entièrement réussit. Le point de vue critique abordé par l’auteur a le mérite d’une certaine objectivité, sans donner de leçons, sans prendre parti. L’auteur pointe néanmoins là où ça fait mal, et le point de vue du personnage de Rasmiyah, qui vivote de religion en religion, était finalement idéal pour aborder l’universalité de la religion, leurs points communs, et leurs incohérences.
Si ceux qui ont lu les tomes précédents marcheront en terrain connu pour ce qui est des deux autres secteurs, avoir abordé l’histoire par le prisme d’autres personnages aux caractères bien différents de ceux des deux autres tomes permet tout de même d’éviter une redite qui pourrait être source d’ennui pour le lecteur. Quelques différences sont même facilement identifiables (la frontière entre les différents tomes étant floue, on restera sans savoir s’il s’agit réellement du même univers que les dits tomes, ou si la chronologie est juste différente). Donald reste différent du mémorable suicidaire du tome 2, Xiaomi est loin du chasseur de fraudes à la consommation du tome 1.
Enfin, on retrouve toute la saveur qui a rendu les deux autres tomes inoubliables pour ceux qui les ont appréciés. Le style de Jean Baret est sans doute particulier à aborder, la répétition montrant l’absurde, et tout va droit au but. Il ne faut pas non plus s’attendre à des pages d’action et de course-poursuite : la trilogie Trademark, c’est aussi de la philosophie, une réflexion sur notre vie du XXIème siècle et ce qu’elle pourrait bientôt devenir, et le récit a l’art de sembler absurde à première vue avant que, en y regardant de plus près, on y trouve un peu trop de similitudes avec nos modes de vie actuels pour ne pas en ressentir une certaine gêne.

Souvent, quand il s’agit d’une série, on finit par être déçu, pas assez surpris, un peu lassé. Ce n’est pas le cas ici, le triptyque se referme avec brio, et le seul regret de ceux qui apprécieront l’œuvre sera sans doute de se dire qu’elle est terminée. Trademark est, depuis son premier volume en 2018, un OVNI dans le paysage des littératures de l’imaginaire, et un must-read pour quiconque apprécie le genre. Ceux qui y sont d’habitude imperméables ne devraient pas passer leur chemin pour autant, tant les thèmes abordés sont universels et proches de nous. Le texte ne plaira pas à tout le monde, mais il marquera sans doute la majorité de ceux qui s’y risqueront.