Au Diable Vauvert

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26 septembre 2017

Alors, me direz-vous, qu'ai-je pensé de ma première rencontre avec l'écrivain à la réputation sulfureuse (à côté de lui, Gainsbourg donne l'apparence d'un homme très propre sur lui)? J'ai d'abord aimé son humour pince sans rire (parce que, rassure-moi, Jérôme, c'est de l'humour?) : "Je vis depuis cinq ans avec une femme de dix ans plus âgée. Mais je me suis habituée à elle et suis trop fatigué pour en chercher une autre ou la quitter".
Mais j'avoue que la phrase qui précise qu'il connait des femmes dont le fantasme est de se faire violer, je l'ai moyennement appréciée. Je n'ai pas toujours su s'il pensait ce qu'il disait des autres auteurs mais j'ai parfois trouvé ça drôle (mais je crois qu'il le pense), sauf bien sûr quand il dit du mal de Shakespeare : "Faulkner très souvent c'est de la merde, enfin de la merde intelligente, bien sapée, et quand il sera mort ils auront du mal à lui cirer les pompes parce qu'ils le comprennent pas tout à fait, et ne le comprenant pas, les parties lourdes et ennuyeuses, la quantité d'italiques, ils mettront ça sur le compte du génie".
Lui, par contre, ce n'est pas toujours la modestie qui l'étouffe : "Women est mon meilleur livre. Il va générer une belle quantité de haine, des tas de réactions, comme l'a toujours fait n'importe quelle excellente œuvre d'art".
Mais on sent que l'écriture est ce qui le maintient en vie, et c'est terriblement touchant : "Sans ce recueil, je serais probablement mort suicidé ou en train de gober des pilules dans l'institut psychiatrique le plus proche.
Si je n'ai pas trouvé Bukowski très sympathique (j'ai comme l'impression que passer une soirée en sa compagnie m'aurait été insupportable, et ça tombe bien parce qu'il semble avoir été très solitaire), j'ai trouvé que cette correspondance se lisait comme un roman qui s'étend sur une quarantaine d'années.

Au Diable Vauvert

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14 septembre 2017

Pierre Bordage signe ici une roman qui ne ressemble pas à ce qu'il écrit d'habitude et c'est tant mieux pour moi car je ne suis pas une fervente admiratrice de ses dystopies. Ici, Pierre Bordage met en scène des hommes et femmes qui se cherchent et/ou ont beaucoup souffert. Les deux hommes ont aimé leurs femmes et ont du mal à s'imaginer en aimer une autre et les deux femmes sont insatisfaites dans leurs mariages. Le cadre est donc à peu près identique et cela permet à l'auteur de nuancer les situations. Ces quatre personnages m'ont vraiment touchée. On finit par espérer non pas forcément qu'ils gagnent le gros lot d'un point de vue financier mais qu'ils le gagnent du point de vue émotionnel. Ce n'est certes pas un roman indispensable mais je n'en attendais rien, et détendue sur une plage du bassin d'Arcachon, je l'ai lu avec plaisir.

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12 septembre 2017

J'avais lu le recueil de nouvelles de Vincent Delecroix, Une chaussure sur un toit, publié en 2007. Comme vous le savez, les nouvelles et moi, ça fait deux, et pourtant, il avait su m'emporter en gardant cette chaussure comme fil conducteur. Mais depuis, il n'avait pas écrit de fiction, ce qui explique peut-être qu'il ait eu besoin d'écrire plus de 600 pages. Si vous aimez les livres déjantés, ce roman est pour vous. L'auteur parvient même à parler de son précédent titre en faisant passer son narrateur juif pour un écrivain ayant choisi un pseudo goy. Certains passages m'ont agacée mais le génie de Delecroix, c'est qu'ils sont faits pour agacer puisque c'est Chaïm, le narrateur, qui tient à jouer son rôle de raconteur d'histoires et nous transmet l'histoire de son aïeul, dont tout le monde se moque. Il y a par contre des moments de grâce loufoque et/ou lyrique comme la scène du musée (l'amour d'Antonio pour Beth nous embarque) ou celui sur la critique littéraire de la Bible. Marc Lévy est régulièrement écorché au passage. Bref, Vincent Delecroix, malgré sa tête de premier de la classe, est complètement fou et j'ai globalement aimé ça.

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7 septembre 2017

Ce roman (mais est-ce vraiment un roman tant il a la beauté de ce qu'on a vécu avec les tripes?) est à la fois celui d'une génération entière, ceux qui ont cru à Mitterrand alors qu'ils n'avaient même pas l'âge de voter (il me faut régulièrement faire les compte pour me persuader qu'il est mathématiquement impossible que j'aie un jour mis un bulletin de vote à son nom dans une urne) et à qui ça fera mal au ventre de devoir imposer une minute de silence en son honneur à une classe après son décès, tellement la déception fut grande. La génération "Devaquet au piquet", celle qui pleure sur le destin de Slimane, issu de la seconde génération et grand frère de Malik Oussekine, et finit avec un chanteur qui embrasse les flics (je n'ai rien contre les policiers en soi, c'est juste un symbole) mais se moque des bobos car, ça ne mange pas de pain

. Evidemment, comme Isabelle Monnin parle très bien de cette période, il y a déjà de quoi me conquérir. Mais c'est aussi un roman sur le "nous", celui de deux sœurs, qui va, par la force des choses, devenir un "je". C'est une magnifique déclaration à une sœur qui disparaît mais qui continue de faire partie de la vie, qui ne connaîtra jamais ses neveux alors qu'elle fera partie intégrante de leur univers. C'est un très beau roman sur la perte de l'autre partie du "nous", mais aussi sur le lien entre sœurs qui m'a beaucoup émue. Et puis, il y a ces phrases qui reflètent une réalité qui ne doit pas avoir beaucoup changé:
Tous les adolescents (sauf les parisiens, mais je ne le découvrirai que plus tard) connaissent la géographie du car scolaire: ne s'assied pas au fond n'importe qui. Les cinq ou six places de la dernière rangée sont réservées aux seigneurs de cette petit société, les garçons crâneurs et les filles à la mode. Plus on se rapproche du chauffeur, plus on descend dans la hiérarchie collégienne.
J'ai envie de vous citer dix autres phrases, sur les chemins que l'on prend dans la vie, sur les mots qu'il devient indispensable de poser une feuille après les chagrins qui submergent, d'ailleurs je ne résiste pas à celle-ci: les poser sur la page c'est attraper de l'eau avec ses mains, une petite lutte vaine et nécessaire contre l'oubli puisque la mort dure trop longtemps, sur ces chansons qui nous font pleurer.
Je ne sais pas si vous sentez mon émotion, ni à quel point j'ai adoré ce roman. Puisse-t-il vous toucher aussi.

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5 septembre 2017

Ce pavé de plus de 700 pages est typique de ces romans américains qui partent d'un point A pour arriver à un point B en passant par des points dont on n'imaginait même pas qu'ils pouvaient être aussi nombreux. A la fois roman avec une intrigue, voire même du suspense concernant le passé de l'ascendance de Samuel, réflexion sur divers sujets comme la pornographie ou les promesses à respecter ou pas, avec des variations dans la forme et le style, ce n'est pas un roman que nous avons en main, mais plusieurs. C'est souvent brillant, parfois un peu longuet, mais cela reste, dans l'ensemble, un très bon roman.

J'ai beaucoup aimé les passages portant sur l'enfance de Samuel et notamment ses liens avec les jumeaux, mais aussi la partie se déroulant en Irak. Sans faire de la psychologie de bas étage, il m'a semblé que le passage sur cet enfant victime devenu bourreau était particulièrement réussi. D'ailleurs Nathan Hill a un don particulier pour croquer les personnages, surtout me semble-t-il, les personnages secondaires: Laura l'étudiante, m'a rappelé quelques petites garces croisées ici ou là. Alice, l'amie de la mère de Samuel, auteure de la phrase que je cite en ouverture de ce billet et Bishop, le jumeau, sont des personnages qui m'ont passionnée et touchée. L'ensemble varie dans une gamme allant du drôle à la gravité, parfois dans la même scène, comme par exemple dans la scène du chameau. Et puis, il y a ces caricatures (en fait, non, ce ne sont pas des caricatures, c'est souvent la réalité) de notre société:
Il lui suffisait de sélectionner une émotion parmi les cinquante émotions standard, de l'associer à une photo, un petit mot ou les deux, et de guetter l'afflux de messages de soutien.
Mais voilà que pour la première fois, les cinquante émotions standard lui semblaient limitées.