Ce pourrait être une autre version de " Les enfants terribles", plus contemporaine, plus adulte, plus silencieuse et moins tapageuse mais tout aussi envoûtante. La relation fusionnelle, intense et délétère entre un frère et une sœur réunis au sein d'un immense appartement haussmannien laissé à l'abandon accapare le lecteur dans ce huis clos aussi charmant que vénéneux, prégnant. Dans cet isolement total et volontaire le lecteur s'imprègne des tensions naissantes, des silences et des éclats, partage la langueur de ces journées interminables, de ces désarrois mortifères et tenaces. Serait-ce un rêve évoluant en cauchemar, de l'enfermement à l'abandon? D'étranges hallucinations? C'est troublant, déconcertant, génial!

Stefan Hertmans nous convie à une nouvelle enquête romanesque, fruit du hasard, de ses recherches et de l'Histoire. La maison qu'il visite à Gand en 1979, qu'il achète puis habitera pendant vingt ans fut aussi celle d'un étrange personnage Willem Verhulst, Flamand, collaborateur actif et zélé avec les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Une plongée réelle et fictionnelle au cœur de sa famille et d'un système de dénonciations et de mensonges pour accéder au pouvoir et aux privilèges. L'auteur ne néglige rien, mène l'enquête, interroge les enfants devenus octogénaires, meurtris d'une telle paternité. C'est passionnant et terrifiant.

Ce roman exquis dans sa concision, sa forme littéraire et son sujet, crée un charme intellectuel peu commun et fort réjouissant et un plaisir de lecture délicat. Rencontre surprenante avec ce diablotin du Moyen Age, démon des moines copistes, malicieusement heureux de parsemer et de récolter des fautes dans sa besace. Célébration des apprentissages, de l'écriture, de la beauté des gestes jusqu'à en concevoir orgueil et jalousie pour Odilon, fils de pêcheur devenu enlumineur. Hymne au livre, à la connaissance, à la modernité: ce roman est une merveille.

"Le Château des Rentiers" est une fantaisie romanesque, tantôt enjouée, lumineuse et drôle, tantôt mélancolique, sévère et grave. C'est le lieu des souvenirs et de la mémoire, du temps qui passe et qui a passé, du temps qu'il reste à vivre, à penser et à panser. Située dans le XIIIè arrondissement de Paris, les grands-parents maternels de l'auteure ont vécu dans cette rue éponyme une vie intime et communautaire hors norme. L'air de rien, accompagnés de leurs amis, pour certains rescapés des rafles et des camps d'extermination nazis, ils ont investi et habité plusieurs appartements d'un immeuble flambant neuf, créant ainsi un phalanstère surprenant au cœur de Paris, au cœur du XXè siècle. « Avaient-ils compris que la vieillesse est plus âpre quand elle est solitaire ? » L'auteure se souvient enfant y être allée fréquemment, avec amusement, sans ennui et sans contrainte. Il y avait ce plaisir fugace des rencontres, des visites inattendues, des échanges de recettes culinaires traditionnelles, des disputes en yiddish ou en russe, des couloirs à traverser pour circuler d'une famille à l'autre dans une ambiance d'éternelle jeunesse. Ils étaient des survivants, en sursis, heureux d'être encore présents, discrets dans leurs douleurs et leurs souffrances. Serait-ce complètement utopique et fallacieux de créer un tel endroit aujourd'hui, de réunir les siens, sa famille et ses amis proches dans un lieu pensé, adapté et accueillant ? A quel moment comprend-on la vieillesse, comment accepte-t-on de vieillir ou pas? Convoquant un chœur réel ou imaginaire, l'auteure assemble un spectre de leurs réponses. De l'acceptation au déni, en passant par la colère, la peur ou le rejet, de la sempiternelle complainte à la possibilité d'être simplement sans trop de douleurs ni d'empêchements, on perçoit la fragilité d'être humain et le bonheur d'être vivant.

Ce roman est un cadeau, une offrande lyrique et musicale tout en accords et en délicatesse. Des premiers apprentissages dans la douleur de la séparation à la révélation sublime d'un talent exceptionnel Ilaria s'ouvre au monde, à la musique et à la vie. Derrière l'archet palpite un cœur vulnérable, fragile et authentique. Sans demi-mesure elle s'adonne à la musique, à l'amour, vibrante, poignante, déterminée dans son cheminement et ses choix. Le feu intérieur aux multiples étincelles, la révèle, la dévore dans un jaillissement de notes avec ardeur et passion. Magnifique!