Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

Oliver Bottini

Piranha

Conseillé par
13 janvier 2016

J'ai déjà rencontré Oliver Bottini, qui, comme son nom ne l'indique pas, est un écrivain allemand, dans ses deux romans précédents : Meurtre sous le signe du zen et L'été des meurtriers. Changement d'éditeur français cette fois-ci et changement de décor, Louise, sa flicque alcoolique, torturée et peut-être sauvée par la méditation laisse la place à Ralf Eley, qui doit marcher sur des œufs pour ne froisser personne, et surtout pas les décideurs algériens et les vendeurs d'armes allemands. Le plus gros problème de ce roman c'est qu'il a tellement d'entrées et de personnages qu'il en est confus surtout au début. Certaines explications arrivent au fur et à mesure, mais mon esprit ne fait pas toujours le lien entre toutes les situations, les protagonistes. C'était déjà un peu le cas avec les romans précédents de l'auteur. Et puis, il faut bien dire que le monde des fabricants d'armes est opaque pour ne pas dire plus et s'y retrouver dans ses arcanes relève du défi.

Néanmoins, le contexte décrit par Oliver Bottini est fort, surtout pour les lecteurs français qui pourront voir certaines explications comme superfétatoires, qui ne le sont évidemment pas pour les lecteurs d'autres pays qui ne connaissent pas forcément les liens entre l'Algérie et la France. Toute l'intrigue naît au temps de la guerre d'indépendance, puis continue dans la décennie noire du pays (les années 1990 et le combat contre les extrémistes). 2012, le pouvoir algérien est encore fragile, et d'autres groupes d'extrémistes ont fait leur apparition, Aqmi, Al-Qaïda,... Les Européens sont ultra-protégés, mais font encore du commerce notamment d'armes ; les entreprises d'armement ne faisant pas dans l'humain se moquent des conséquences : "Les hommes n'ont aucune importance. Les trusts d'armement et les gouvernements ne travaillent pas en fonction des valeurs et des idéaux des hommes, mais en fonction des impératifs économiques. Les processus sont automatisés. Tu veux investir dans mon pays ? Bien, je veux tes blindés ! Tu veux notre pétrole ? Notre gaz ? Notre énergie solaire ? Bien, je veux tes fusils d'assaut !" (p.156) Je ne découvre rien, je ne suis pas naïf à ce point, mais ce monde fort bien décrit par O. Bottini fait peur et nous entraîne vers la violence et la haine avec un cynisme affiché et insupportable.

Assez peu d'espoir dans ce roman, le ton est froid, les hommes à peine plus chauds ; le thème n'inspire pas la gaudriole et le style et le rythme exacerbent sans doute ce sentiments de noirceur. A conseiller à ceux que le genre ne rebute pas et qui prendront du temps pour ne pas se perdre en route. Ceux-là trouveront sans doute un livre excellent. Moi, je m'y suis un peu perdu, ce qui ôte une partie de sa saveur.

Conseillé par
13 janvier 2016

Voici un court roman, un conte ou une fable. A travers son personnage de géant, Stefan aus dem Siepen décrit merveilleusement la difficulté à s'intégrer lorsqu'on est différent, le mécanisme de l'isolement, du rejet. Si au début Tilman subit des quolibets, ceux-ci se transforment bientôt en insultes ou moqueries moins amicales. Il préfère alors se retirer, se cultiver, seul.

Un roman tendre et élégant. L'élégance se ressent dans l'écriture, les tournures de phrases et la bienveillance de l'auteur pour Tilman : "Ah ! Qu'en termes galants, ces choses-là sont mises" écrivait Molière dans Le Misanthrope, eh bien c'est une citation qui sied parfaitement à ce roman, qui pourrait également reprendre en partie le titre, car Tilman à force de voir les gens de haut, tels qu'ils sont, avides de sensations, de nouveautés, de nouvelles trash : "Ils traversaient la vie avec le besoin trouble de se délecter du malheur d'autrui, d'ingurgiter quotidiennement une dose de trivialité et de saleté. Ils avaient besoin de leurs amusements de pacotille et ils ne les trouvaient nulle part de manière aussi assurée que dans le franchement exceptionnel, dans le déviant stupéfiant." (p.115), en devient un brin misanthrope. Néanmoins, l'ouverture que lui procurent la lecture et la musique lui permet de relativiser, de prendre la curiosité qu'il suscite comme une chose inévitable et de s'y plier pas forcément de bon gré, mais avec une grande bonté et une certaine philosophie. Plus il grandit, plus il s'apaise et acquiert de réflexion, de recul sur lui-même et les événements, en un mot, de sagesse.

Une belle et profonde réflexion sur la recherche du bonheur, sur la différence et l'acceptation d'icelle par autrui, sur l'amour, sur la culture : la différence entre l'élitisme et la culture de masse qui peut tendre vers le néant lorsqu'il s'agit par exemple des phénomènes de foire, les fameux freaks, entre la beauté et la laideur ; il m'a semblé y voir aussi une critique à peine voilée de la dérive des chaînes de télévision, vers le sensationnel, le laid, la téléréalité...

Je ne connaissais pas cet auteur allemand au nom étonnant et qui me semble lui aussi très élégant (mes souvenirs d'allemand sont pauvres et lointains, j'espère qu'en cette langue, ce n'est pas une grossièreté !). Il a publié en 2014, un autre roman La corde, qui me tente tant par le thème que par la très belle écriture (félicitations au traducteur) que j'ai découverte avec Le géant. Assurément, je le relirai, en plus son roman est court, vraiment tout pour me plaire.

Tiziano TERZANI

Intervalles

Conseillé par
13 janvier 2016

Je n'écrirai pas ici de prolégomènes au contenu de mon article, je ferai court en vous disant tout de go que je risque l'emportement, l'enthousiasme voire la dithyrambe. Ce bouquin est tout simplement magnifique ! Déjà emballé par Lettres contre la guerre du même auteur, je me suis empressé vers les rayonnages d'une librairie pour acquérir cet ouvrage dont Aifelle ou Zazy ont dit le plus grand bien. J'ai même acheté Un autre tour de manège, mais là Madame Yv a posé son droit de préemption et je ne pourrai le lire que lorsqu'elle l'aura fini, mais je sais de source sûre -les confidences sur l'oreiller, ça fonctionne toujours- qu'elle est conquise.

Cette lecture demande un minimum d'attention et d'exigence, Tiziano Terzani nous baladant dans beaucoup de pays dont il raconte l'histoire ; 460 pages denses en petits caractères (dans la version poche). Si je suis parvenu au bout sans encombre, vous pouvez me croire, ces pages sont passionnantes, surtout si fidèles du blog, vous connaissez mon appréhension pour les gros volumes. Jamais je ne m'y suis ennuyé. Jamais je n'ai eu a moindre velléité de fermer le livre avant de l'avoir fini.

Un texte fort et très accessible qui parle des traditions qui se perdent au profit de l'occidentalisation de l'Asie. La globalisation tend vers l'uniformisation des coutumes et des hommes et des femmes du monde, et c'est ce que ce texte montre bien. Quel dommage qu'en Mongolie, en Thaïlande, en Chine, en Birmanie, on trouve des chaines de magasins mondialement connues. Le commerce international remodèle le monde, le façonne à sa manière plus vendeuse, plus bénéfique financièrement. Le reporter passe de Thaïlande à Singapour ce bout de terre ultra-moderne, déshumanisé, emprunte les routes birmanes, visite le Cambodge sous assistance de l'ONU (la critique contre cette organisation est assez virulente) ; les entreprises internationales se livrent une bataille pour la reconstruction du pays détruit par les Khmers rouges. Partout Tiziano Terzani cherche l'humain, le contact, la rencontre. Son mode de voyage, lent, lui donne le temps de parler, de s'arrêter et ses carnets son emplis des rencontres parfois formidables parfois moins avec des hommes et des femmes qui n'ont pas renoncé à leurs traditions.

Un texte d'un homme à la recherche d'une vérité, d'une spiritualité qu'il a du mal à cerner. L'année 1993 qu'il passe sur les routes à chercher l'autre est sûrement celle qui le mènera vers cette sagesse que j'ai ressentie dans Lettres contre la guerre. Il me semble que c'est l'année qui le verra doucement basculer vers le côté spirituel de sa personnalité, laissant son autre face, celle du reporter qui court les zones de conflit pour en rendre compte s'atténuer petit à petit.

Lecture formidable, intelligente, instructive et ressourçante (?), on sent à le lire un bien-être, une envie folle de ralentir le rythme -et pourtant, le mien est déjà beaucoup plus lent que celui de la majorité des Français. Découvrez et lisez Tiziano Terzani, et merci à Intervalles de rééditer ces textes.

Conseillé par
13 janvier 2016

"Quand mon père me battait il criait en anglais...", ainsi commence l'un des précédents romans de Sorj Chalandon, Retour à Killybegs. Lors de la remise du Prix France Télévision, en 2011 qu'il n'avait pas remporté d'ailleurs (la lauréate était Delphine de Vigan), il était resté parler avec les lecteurs-jurés et m'avait dit que cette première phrase de ce roman était réelle sauf sur un point, son père parlait alors en allemand. Profession du père est la continuité de cette phrase, Sorj Chalandon est sans doute à peine caché sous Émile Choulans, d'après ce que j'ai pu lire sur ce roman depuis qu'il est sorti. C'est un roman bouleversant sur les rapports père-fils totalement dénaturés par la maladie et la violence. Émile n'a de cesse de vouloir faire plaisir à ce père violent qui ne le complimente jamais, au contraire, il le rabaisse systématiquement, le frappe, le punit brutalement. Il croit à ses histoires d'espionnage, d'OAS et de CIA. Même lorsque le fils fait quelque chose de bien une explication du père met fin à sa joie, comme cette fois où par son dessin, Émile a gagné deux places de cinéma : "Ma mère a applaudi. Mon père a souri. Pendant la guerre, il avait sauvé la vie de monsieur Bertholon, le directeur du cinéma. Pendant que je dessinais, il était passé le voir pour lui souffler mon nom. Voilà pourquoi nous avions gagné. Mon père était ravi." (p.178)

Comme à son habitude, Sorj Chalandon, écrit un roman fort et accessible bien que dur. Même si je me dois de dire que je l'ai parfois trouvé trop long, un peu voyeur, mais peut-être est-ce parce que j'en attendais trop, venant de cet écrivain que j'aime beaucoup. Son héros est un jeune homme, mais le langage adopté n'est pas bêtifiant, ce qui est souvent le cas avec des héros-ados. On endure avec Émile, on le soutient puisque même sa mère a du mal à le faire, c'est une femme passive qui tente de le protéger et évitant les coups et les insultes. On se demande jusqu'où il pourra aller pour s'attirer si ce n'est l'amour au moins une marque d'affection et de tendresse de son père. Difficile de se construire après une enfance comme celle-ci, Gérard Garouste en parle dans L'intranquille, son autobiographie d'une manière forte également. Sorj Chalandon aborde ce thème sous forme de roman, une manière différente et tout aussi marquante d'écrire sur les violences paternelles et sur la difficulté qu'a un enfant à sortir du cercle familial malgré les coups et les insultes. On se demande toujours pourquoi les femmes battues restent avec les hommes qui les frappent, mais les enfants devenus grands pourraient aussi partir. Mais l'amour, la demande de reconnaissance, le désir d'obtenir enfin des compliments, des remarques positives est sans doute encore plus fort. Quasiment jusqu'au bout, ces enfants brimés espèreront un geste, un mot du père. C'était déjà vrai dans L'intranquille dont je parlais plus haut. Ça l'est aussi dans Je n'ai jamais eu de petite robe noire de Roselyne Madelénat.

Un beau roman, touchant et fort sur l'enfance lorsqu'elle ne se déroule pas comme elle devrait.

Conseillé par
13 janvier 2016

Voici un court roman (à peine plus de 100 pages) qui peut mettre mal-à-l'aise : pédophilie, détournement de mineure, on pense à tout cela, même si en l'occurrence, c'est Lella qui poursuit Marius de ses assiduités, lui assez en retrait de cette histoire ne semble pas la voir comme une femme. Tout débute finalement comme un simple amourette d'élève et se poursuit comme... eh bien, je ne vous le dirai pas, je ne divulguerai rien, même sous la torture (enfin, légère la torture, svp).

Ce qui est étonnant avec ce roman c'est que c'est une langue qui ne me parle pas forcément, pas assez prosaïque, trop allusive, poétique pourrait-on même dire, j'ai du mal parfois à comprendre les images, les figures de style, mais malgré tout je n'ai jamais décroché, comme attiré, aimanté par le texte, les descriptions, le personnage de Lella. Elle est complexe, amoureuse et entière comme on peut l'être à 14/15 ans, entourée de bons amis mais assez seule. Elle dit tout bas vivre seule avec sa mère et ses petits frère et sœur, sans père, disparu, ceci expliquant sans doute la relation avec Marius. Lui est en second plan, il subit plus qu'il ne vit cette histoire comme s'il pensait aux inévitables conséquences. Il paraît pâle à côté de la jeune fille. C'est l'art et la poésie qui les lient. Il peint (et n'écrit pas malgré son nom). Elle aime le voir peindre. Il la peint. Deux fois.

Difficile d'en dire plus sur ce livre sans en dévoiler trop. Héloïse Combes a su créer un univers personnel, original et touchant. Elle ne juge pas, elle raconte son histoire et le sentiment qui dérange au départ tombe en cours de lecture (pas totalement cependant, je n'ai pu me départir de ma fibre paternelle et j'ai eu du mal à imaginer ma fille adolescente -qui ne l'est plus, ouf- amoureuse d'un homme de 35 ans de plus qu'elle, et je n'ai pas réussi à me mettre dans la peau de Marius, bien qu'arrivant tranquillement à son âge), tant Lella est lumineuse et s'éveille.

Le mieux pour vous faire une idée des multiples talents d'Héloïse Combes : chanteuse, auteure-compositeure, écrivaine et photographe, c'est d'aller voir son blog, sobrement et logiquement intitulé Héloïse Combes.